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      Le 20 novembre 1949, l’abbé Daniel JOËSSEL, après avoir reposé quelques temps dans le cimetière de Ciney en Belgique, est inhumé dans l’église Notre-Dame du Perpétuel Secours. La célébration est présidée par Monseigneur FELTIN, archevêque de Paris.

      C’est Monsieur PRESSOIR, sulpicien, qui avait été le supérieur du séminaire des Carmes pendant la formation de Daniel JOËSSEL, qui prononça l’homélie, devant les paroissiens et la famille présente.

        Cette homélie est un extraordinaire portrait de l’abbé JOËSSEL.

      Excellence, mes Frères,


     Monsieur le Curé de Sainte-Geneviève d’Asnières a désiré qu’un prêtre, ayant connu M. l’abbé JOËSSEL pendant ses années de formation au séminaire, vous adresse quelques paroles au cours de cette émouvante cérémonie. Je n’ai pas voulu lui refuser mon témoignage qui sans doute, mes frères, n’ajoutera que peu de choses à l’admiration, au culte que vous avez déjà pour cette admirable figure de prêtre.
    Excellence, vous qui avez avec le héros de cette journée des liens de parenté, et mieux que cela, une parenté d’âme qui nous permet de vous unir à lui dans un commun amour, daignez agréer l’hommage de notre reconnaissance pour votre présence ici aujourd’hui, et de notre filiale obéissance aux directives que vous voudrez nous donner.
     Quand, dans le recul de 20 années, je revois l’abbé JOËSSEL, je ne puis mieux résumer mon impression d’ensemble qu’en lui appliquant le mot de l’évangile : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
     C’est, vous le savez Monseigneur FELTIN, Notre Seigneur qui a dit cela. C’est Notre Seigneur qui a fait cela. Venu ici-bas pour nous sauver, Jésus a opéré notre salut par deux grands moyens : le service, et la mort sur la croix. Le service, car Lui le maître, il n’est pas venu pour être servi mais pour servir – service total : Il ne s’est rien réservé, Il a tout donné, son temps, sa doctrine, ses bienfaits, son cœur surtout, avec toutes ses tendresses et tous ses pardons.
     Et Il a couronné cette vie de service par le don de son sang, de sa vie, dans la mort sur la croix…
     Le disciple est parfait s’il est comme son maître, a dit encore Notre Seigneur… Ce disciple parfait ce fut … l’abbé JOËSSEL :
                                   dans sa formation pendant cinq ans au séminaire
                                   dans son ministère paroissial ici pendant quatre ans.

 

     Quand en 1930 Daniel JOËSSEL se présentait au séminaire des Carmes, il cherchait sa voie. Plusieurs essais de vie ecclésiastique ou religieuse n’avaient pas réussi. Âme éprise d’absolu, il cherchait le don total à Dieu. Je le vois encore, grand jeune homme distingué au large front couronné d’une abondante chevelure blonde, son bon regard bleu, calme et apaisé et toujours bien droit, dénotait une âme franche et résolue ; ce regard parfois s’illuminait et lançait des éclairs, quand il parlait du Christ, de son amour ou des âmes à conquérir.
    Tout de suite il s’adapta à ce séminaire des Carmes, que nous définissions alors « un monastère adossé à une université ». Daniel JOËSSEL est avide de puiser dans cette université la culture supérieure qu’il sent nécessaire au prêtre pour faire face aux problèmes de l’heure présente, et cette culture lui est donnée par des maîtres de grande valeur, dont l’un d’eux, le Père LEBRETON, grand savant, devient son Père spirituel. Et puis quand le jeune séminariste a quitté les cours de l’université et qu’il a franchi le seuil du séminaire, alors c’est le recueillement du monastère, c’est la sainte maison des Carmes avec ses traditions de prière trois fois séculaires, avec les souvenirs des martyrs du 2 septembre 1792, et de LACORDAIRE et d’OZANAM, toute une atmosphère de générosité, de noblesse d’âme, d’héroïsme, cadre incomparable, que le premier supérieur, Monsieur VERDIER, savait admirablement exploiter. Il laissait les séminaristes    « dans la main de leur conseil » comme il disait, c’est-à-dire à leur conscience, leur demandant de préparer un sacerdoce loyal, complet et adapté.
    Notre cher Daniel s’épanouit dans ce milieu ; il y passa 5 des plus heureuses années de sa vie. Vite il repéra quelques condisciples chercheurs de Dieu, épris de sainteté comme lui; ils formèrent un petit groupe – on ne parlait pas encore d’équipe mais on en avait l’esprit – ils s’entraînaient à la générosité avec la fougue de leurs 20 ans, pas toujours avec la prudence nécessaire, mais n’est-ce pas ainsi qu’on devient un saint ?
    La mortification ne leur coûtait guère surtout sous la forme d’une vie rude, volontairement recherchée, ou d’un sport violent exigeant endurance autant qu’adresse. Ils ne tenaient guère compte des intempéries des saisons. Ils ne faisaient pas de feu en hiver et par ces industries, qui n’échappaient pas aux directeurs, ils se faisaient une âme virile et forte dans un corps sachant souffrir.
    Et nous, les directeurs du séminaire, nous admirions ces jeunes gens généreux, simplement obéissants, pas revendicateurs du tout, ni économes de leurs peines, mais empressés à servir. Près de ces jeunes gens on avait parfois l’impression qu’on frôlait quelque chose qui ressemble beaucoup à de la sainteté. Et pas une sainteté morose. Daniel JOËSSEL était le plus joyeux des compagnons, il aimait le rire franc et éclatant, il aimait la plaisanterie et l’humour. Combien il était recherché de ses camarades dès cette époque.
     Le secret de cette vie intense, c’était une piété profonde. L’abbé JOËSSEL était épris de Jésus Christ, de ses charmes vainqueurs, de sa croix. Il L’aimait d’amour. Le Christ Jésus était pour lui le grand, le divin ami près duquel on ne s’ennuie jamais. Que de longues stations je l’ai vu faire près du Saint Sacrement, lui pourtant l’homme si actif que vous avez connu. Il n’estimait pas temps perdu ces longs moments de communion spirituelle avec son Dieu. Il avait le regard fixé sur le tabernacle, comme si sa foi, perçant tous les voiles, contemplait l’invisible, et l’on sentait que c’était à regret qu’il quittait la chapelle et l’ami divin.
     C’est dans ce fréquent tête à tête, ou plutôt cœur à cœur avec Notre Seigneur que Daniel JOËSSEL s’est peu à peu conformé à Jésus Christ; il lui livrait son être tout entier, intelligence, cœur, volonté, sensibilité ; il lui disait : Seigneur, entrez en moi, tout est vôtre; et la grâce, la bonté de Dieu, la sérénité de Dieu, la paix de Dieu se répandaient dans ce jeune séminariste, et pour lui se réalisait la parole de Saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus Christ qui vit en moi ; ma vie, c’est le Christ. » Ceux-là, Monseigneur FELTIN, sont forts, ils sont invincibles, ils ont en eux la force de Dieu.
     L’âme virile de Daniel JOËSSEL avait un autre amour, une autre tendresse : c’était pour la Vierge Marie. Monsieur VERDIER qui possédait dans la chapelle des Carmes une magnifique statue de la Sainte Vierge, œuvre de BERNIN, trouva moyen par un éclairage dissimulé de la faire rayonner sur un fond or dans l’obscurité du soir; et chaque soir, comme dernier exercice de la journée, exercice d’ailleurs facultatif et nullement imposé, les séminaristes, comme dernière visite, venaient saluer leur Mère, la clémente, la pieuse, la douce Vierge Marie.
      Et l’on voyait ces braves enfants, qui, ne pouvant chaque soir recevoir, comme en famille, le baiser maternel, se dédommager en contemplant leur douce Mère du ciel. La religieuse qui venait fermer la chapelle devait parfois les arracher à leur vision; et je voyais Daniel remonter dans sa chambre, tout recueilli, pour aller prendre son repos, un sommeil qui serait certainement apaisé, et pur, et bienfaisant et heureux. Oui il était heureux au séminaire.
     Mais ne croyez pas, Monseigneur FELTIN, que cette vie soit un égoïsme raffiné et supérieur. C’était bien plutôt chez Daniel JOËSSEL une vie de don de soi aux autres, une vie de charité. Comme Saint Paul, il avait besoin de se donner, de donner ses trésors. « Malheur à moi si je n’évangélise ; c’est pour moi une nécessité, » disait le grand apôtre. Et on sait comment, à Athènes, tandis qu’il attend ses compagnons, lui Paul, tout seul, entreprend tout simplement de conquérir au Christ cette grande ville. Daniel JOËSSEL est de cette race-là. Il faut qu’il fasse du bien, c’est pour lui une nécessité de vie, comme pour Saint Paul. Il prête facilement, et parfois il donne tout ce qu’il a; il devine, comme par un instinct supérieur, les besoins des autres, besoins de secours matériels, besoins d’aide intellectuelle, besoins de consolation et d’affection; et ingénieux, il intervient délicatement. Lui plutôt énergique et viril par nature, il devient tendre comme Saint Paul qui voudrait pouvoir contrefaire sa voix, pour bercer, comme une nourrice, ses enfants. Voilà notre Daniel.
    Pour nos jeunes étrangers, ils étaient alors assez nombreux au séminaire des Carmes, qui avaient si facilement la nostalgie de leur pays et de leur famille, surtout dans le temps de Noël et du premier de l’an, Daniel était là, remplaçant la famille absente. Une mère n’aurait pas eu plus de délicatesse d’âme et de procédés.
     Et si sa charité était ingénieuse pour les besoins matériels de ses camarades, vous devinez ce qu’il était quand il s’agissait de leur faire aimer le Christ, le devoir, la croix, les âmes.
Quel entraîneur d’âmes il était.
     Mais, mes frères, je m’arrête et je m’excuse de vous retenir si longtemps au séminaire.
    Voilà notre cher Daniel prêtre (le samedi saint 31 mars 1934); pour lui le sacerdoce sera, comme l’a défini LACORDAIRE, « l’immolation de l’homme ajoutée à celle de Dieu ».
     Il vous est alors envoyé comme vicaire, et désormais se livrera tout entier à votre service, il s’immolera tout entier, en attendant qu’il donne sa vie pour sa patrie.
  Ici, mes frères, c’est votre témoignage qui devrait surgir dans cette assemblée ?
     Quelle est la famille, le père de famille, la mère, le jeune homme, l’enfant, qui un jour, étant entré en relation avec le jeune vicaire, n’en a pas reçu un bienfait ? Il a passé au milieu de vous en faisant le bien, comme son divin Maître; c’était son devoir, et son sillage de bonté demeure parmi vous.
     Ne m’a-t-on pas dit que dans beaucoup de familles, sa photographie est à l’honneur, près du crucifix, et que lorsqu’un enfant du catéchisme de Monsieur JOËSSEL, un jeune homme du patronage de Monsieur JOËSSEL, une jeune fille dirigée par lui et maintenant mère de famille, regarde cette figure de prêtre si douce et si exigeante à la fois, c’est un appel irrésistible au devoir, à l’honneur, à la générosité, à la sainteté; « In memoria aeterna erit justus » oui les saints sont en mémoire éternelle.
    Ici, mes frères, recueillez-vous, rappelez vos souvenirs; rappelez-vous une messe de l’abbé JOËSSEL, on le sentait, investi par la présence divine ; il semblait que, comme Moïse sur la montagne, il voyait l’Invisible.
    Rappelez-vous un catéchisme de l’abbé JOËSSEL où sa parole de feu captivait les enfants, une visite de malade, une homélie sur l’évangile, une direction au confessionnal, une conversation d’abord banale s’achevant presque en prière.
     Ou bien vous, jeunes gens, rappelez-vous ce sportif, car il l’était, ce champion, cet audacieux quand il était au volant de son auto – j’avoue avoir parfois tremblé, assis près de lui, en voyant cette griserie de vitesse. C’était lui, premier partout; mais surtout, chers jeunes gens, plus que le sportif, rappelez-vous le prêtre qui vous a tant aimés, qui vous a donné la fierté chrétienne, une virile pureté, l’esprit d’apostolat, le bonheur qu’on éprouve à faire celui des autres.
     Une telle vie, mes frères, ne pouvait se terminer dans la banalité. Dieu lui a fait une mort digne de lui, comme d’ailleurs à plusieurs de ses amis dont je vous ai parlé, et qui comme lui sont tombés glorieusement pour nous sauver, comme cet admirable abbé BEAUDOUIN, son émule de dévouement ici, et son émule de gloire dans la mort.
    Relisez, mes frères, dans le beau livre que lui a consacré monsieur François VEUILLOT, les dernières lettres de l’abbé JOËSSEL, le récit de sa campagne et de ses derniers jours, la dernière ascension de cette âme magnifique dans le renoncement complet à soi-même, dans la marche consciente et voulue à la mort, et alors vous reviendrez à ce mot de l’évangile, par lequel nous avons commencé et qui résume le mieux la vie de Monsieur JOËSSEL : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.»
     Et voici qu’aujourd’hui la glorieuse dépouille mortelle du prêtre tant aimé vous est rendue, mes frères, et va désormais reposer dans votre église : insigne faveur et source de nombreuses grâces.
    Aujourd’hui, mes frères, prions pour lui. Sans doute notre espérance bien fondée va le chercher au ciel dans l’assemblée des saints mais son humilité nous demanderait de prier pour lui, n’y manquons pas.
  N’oublions pas non plus de prier pour sa chère famille de la terre, que je salue ici respectueusement. C’est pour nous une dette de reconnaissance : n’est-ce pas elle, cette famille si profondément chrétienne, qui a formé l’âme de notre cher Daniel, et l’a offerte si généreusement à Dieu dans le sacerdoce ?
Mais aussi, mes frères, venons tous chercher près de ce tombeau, des leçons de foi, de générosité dans le sacrifice. Pères et mères de famille, continuez à intéresser l’abbé JOËSSEL à l’avenir de vos enfants, à vos préoccupations souvent si angoissantes à l’heure actuelle.
     Jeunes gens qu’il a tant aimés, venez lui demander la droiture, la force, le courage, la fierté d’être chrétiens dans tous les milieux où la providence vous a placés.
     Jeunes filles, venez lui demander le secret des vertus qui font votre honneur et vous confèrent la seule vraie beauté chrétienne qui ne passe pas.
Et nous tous, mes frères, nous viendrons souvent comme en pèlerinage près de ce tombeau, afin que par sa puissante intercession, le bon abbé JOËSSEL nous obtienne de Dieu quelque chose de sa générosité, de sa sérénité, de son inaltérable paix.
                                                                                 Ainsi soit-il.

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Abbé Jean PRESSOIR

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Monseigneur FELTIN

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