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Une amitié sacerdotale

« C’est pour monter là-haut que nous nous sommes connus et, comme vous le dites, si c’est pour autre chose, notre amitié n’a plus de sens. »
Lettre de Daniel JOËSSEL à Pierre VEUILLOT du 18 octobre 1933.

     L’Abbé JOËSSEL rayonnait : il aimait tous ceux qu’il rencontrait et en retour « tout le monde l’aimait ». Les familles, les jeunes comme les personnes âgées, les malades… tous ceux qui l’approchaient étaient « accrochés ».
     « Il était aimé de tous, et même des indifférents, voire des communistes qu’il avait pu approcher » note son biographe qui ajoute : « Il était si aimé de tous que tout le monde voulait l'avoir. »

      L’amitié, Daniel JOËSSEL la vivait au moins depuis le séminaire, où il s’était lié davantage avec ceux qui pouvaient stimuler son progrès spirituel.

      Ainsi a-t-il été très marqué par l’Abbé Raoul DORANGE et lui-même en a marqué d’autres.

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Raoul DORANGE (?) et Daniel JOËSSEL

     Parmi ceux qui reconnaissent lui devoir beaucoup, il y a, dès le séminaire, un externe, plus jeune que Daniel de presque cinq années, qui sera par la suite Archevêque de Paris et Cardinal.
     Avec la discrétion qui convient, parce que c’était son fils, François VEUILLOT raconte la première rencontre entre les deux futurs prêtres.


     « J’ai pu remonter à la source d’une de ses amitiés les plus fraternelles. Ce n’est qu’un menu détail, mais qui projette une large lumière. Un tout jeune homme, handicapé par une maladie récente, avait obtenu l’autorisation, ou plutôt reçu la consigne, de commencer ses études ecclésiastiques en qualité d’externe. Or, certain jour de grande cérémonie à Notre-Dame, tout le séminaire était convoqué à la cathédrale et les « pensionnaires » des Carmes s’y rendaient par groupes : l’abbé JOËSSEL, en conversation amicale avec les étudiants de son cours, aperçoit soudain son nouveau condisciple, encore inconnu de lui sauf de visage, qui s’achemine tout seul, sur un autre trottoir. Aussitôt, d’un réflexe instantané, il se détache de sa compagnie, pour courir au solitaire, qu’il aborde avec un sourire affectueux. Les deux cœurs étaient « accrochés » pour toujours, mais surtout parce que les deux âmes se découvrirent en communion parfaite.
      Or, c’est précisément à ce « frère » tendrement chéri que l’abbé JOËSSEL, deux ou trois ans plus tard, confiera son émouvante et transcendante conception de l’amitié sacerdotale.    ''Je ne vous aime pas d’une affection humaine, lui écrit-il, car un cœur de prêtre ne peut être partagé. Je suis heureux que vous ayez compris déjà tout cela, car je suis sûr que, de votre côté, vous ne m’aimez pas pour moi, mais pour que le Christ augmente en moi.'' »

François VEUILLOT, Un vicaire de banlieue, l’Abbé Daniel JOËSSEL, p. 31-32


      Il y a, dans chaque vie, des rencontres qui orientent définitivement. Le Seigneur donne des grands frères comme exemple, comme ami, comme repère, comme étoile…
    C’est ce que fut Daniel JOËSSEL pour Pierre VEUILLOT qui ne s’en cachait pas.

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      Les exigences de l’Abbé JOËSSEL n’ont jamais ralenti ou rafraîchi le jeune Pierre VEUILLOT qui adoptait le même point de vue. Ainsi, Daniel JOËSSEL, avec une franchise que seule l’intimité avec Dieu permet, lui écrivait dans une lettre du 18 octobre 1933 : « En vous, j’aime le Christ qui vous a fait ; mais permettez-moi de détester avec vous ce qui reste de vous-même. »

      Après la mort de Daniel JOËSSEL, au patronage d’Asnières, Pierre VEUILLOT, ordonné prêtre le 26 mars 1939, soit 5 ans après Daniel, se considérera, selon ses propres mots, « comme le continuateur » de l’Abbé JOËSSEL et il essaiera de « prolonger l’action du disparu ».

      Pierre VEUILLOT, séminariste puis tout jeune prêtre, avait perçu en Daniel JOËSSEL une « âme sacerdotale magnifique », « une de ces âmes privilégiées qui laissent derrière elles un sillage de lumière. »

      En écrivant le 25 septembre 1940 à la soeur de Daniel JOËSSEL, quelques jours après avoir appris sa mort, l’Abbé VEUILLOT confie :
   
« Vous n’ignorez pas les liens d’affection profonde et d’intimité sacerdotale qui m’unissaient à Dani depuis de longues années déjà. Et la Providence semblait vouloir consacrer cette amitié en nous appelant à travailler à la même œuvre, d’un même cœur et d’une même âme. Dieu en a disposé autrement, Madame, et ce même coup qui vous prive de votre frère, me prive de celui qui devait être mon soutien, mon guide et mon exemple vivant. Vous devinez sans peine, par votre propre douleur, combien mon pauvre cœur s’est trouvé désemparé ! »


      Ne pouvant plus compter sur son « exemple vivant », Pierre VEUILLOT voudra vivre dans son souvenir. Avec la permission de la famille de l’Abbé JOËSSEL, il gardera de lui de nombreux souvenirs, n’hésitant pas à les demander, en justifiant dans une lettre à la soeur de l’Abbé JOËSSEL, du 26 mars 1941 : « Tout ce qui lui a appartenu m'est précieux au plus haut titre, car essayant de continuer son oeuvre, je m'efforce de vivre dans son souvenir. »


     La mort de l’Abbé JOËSSEL n’éteindra pas cette amitié et Pierre VEUILLOT continuera de compter sur son ami : « Je prie Dani qui a tant fait pour ses colonies de me tirer de ce mauvais pas, car je n’ai plus de maison pour mes 80 enfants !... » Lettre du 22 juin 1942.


      Les années passent et pourtant le 4 Juin 1946, il écrivait encore à la même : « Le récent anniversaire du 30 mai m'incite à vous redire le très fidèle souvenir que je garde de votre frère. Sa photo est constamment sous mes yeux, mais son exemple m'est encore plus présent au cœur ! Je regrette que les évènements de ces dernières années et votre éloignement de Paris ne m'aient pas permis de vous exprimer plus souvent ces sentiments, car il me semble qu'en m'unissant si intimement à Dani, ils m'empêchent de rester absolument étranger à tout ce qui touche votre famille ».


      En 1959 ou 1960, sur une brève carte envoyée à un frère de Daniel, celui qui est devenu Monseigneur VEUILLOT, évêque d’Angers, n’oublie pas de mentionner : « Fidèle souvenir du cher ‘’Dani’’. »


      La conservation du souvenir vivant de son ami se prolongera jusqu’à la mort du Cardinal VEUILLOT. Emporté par la maladie, il a, comme l’abbé JOËSSEL, « offert sa vie en sacrifice pour le diocèse, pour l’Église, et très spécialement pour le sacerdoce ». Cardinal Pierre VEUILLOT, chrétien, évêque, p. 60.


      Témoin de cette amitié sacerdotale, l’abbé Michel PLESSIS, qui fut un temps le père spirituel de Pierre VEUILLOT, lui écrivait dès l’annonce de la mort de Daniel :


                                 Mon bien cher Pierre,
    Je ne puis m’empêcher de penser en voyant le début de votre sacerdoce ainsi secoué par tant d’épreuves, que le bon Dieu attend de vous beaucoup puisqu’il vous juge digne et capable de souffrir à ce point. Quelle souffrance, en effet, pour vous que celle du départ d’un ami si précieux que le cher Abbé JOËSSEL : avoir connu une si belle âme, se réjouir de pouvoir s’appuyer sur elle pour commencer le ministère paroissial, puis la voir partir déjà recueillir sa récompense, c’est une véritable sensation de chute dans le vide, c’est un sentiment de détresse. Et pourtant le bon Dieu le veut ainsi et il faut s’incliner et avouer qu’il sait mieux que nous ce qu’il nous faut pour répondre pleinement à ce qu’il attend de nous. Je ne puis m’empêcher de prier notre ami qui devient puissant pour nous aider utilement : peut-être pouvons-nous nous appuyer sur lui plus utilement encore que par le passé ; il est tellement évident qu’il ne se désintéressera pas de ceux qu’il a connus et aimés.

(Extrait d’une lettre du 19 septembre 1940)

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